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lundi 19 mars 2007

Contes et légendes


LE VOYAGE DE l’ILLUSTRE PHILÉMOND

Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau.

Baudelaire

Pourquoi es-tu si loin ? Rapproche-toi un peu, il fait chaud dans mon cœur ! Laisse-toi aller, la vie n’en sera que plus douce. Ne résiste pas ! Ce que tu vis aujourd’hui est bon pour aujourd’hui et disons « zut !» à demain. Demain est un autre jour qui arrivera suffisamment tôt. Puisque tu ne veux pas venir, je viens à toi et je te livre aujourd’hui une part d’inconnu que tu ne connais pas encore.

Pourtant, mon cher lecteur, vois dans ce texte une licence poétique. Le poète regarde la réalité avec des yeux qui ne sont pas les nôtres ; sa part de folie l’a habité un moment. Lit ce texte en pensant que ce qui n’est pas vrai est probable et ce qui est probable est vraisemblablement faux !

Philémond a entrepris de voyager chez Baudelaire et, curieusement, il y a trouvé sa vie et ses amours, ses craintes et ses faiblesses. Le poète a-t-il toujours raison ?

Le récit que je vais vous narrer est celui de la vie de l’illustre Philémond qui a entrepris le Voyage.

* * *

Philémond a eu une adolescence difficile et fermée. Il était ballotté entre son désir de vivre et sa peur de se donner. Sa jeunesse ne fût qu’un ténébreux orage. Parfois, l’un ou l’une s’intéressait à lui et soudain il s’éveillait à la vie. Mais il préférait de loin la réflexion solitaire à la compagnie des autres. Il trouvait dans la nature et la musique, les joies qu’il ne trouvait ni dans l’amitié ni dans l’amour.

De place en place, de recherches en échecs, son adolescence a passé lentement, trop lentement. Il a pu regretter de n’avoir pas saisi ces instants qui passaient, attendant toujours en vain un lendemain meilleur. Sa vie était paresse et loisir, sans joies : ô féconde paresse !

Son seul vrai compagnon de vie, qui partageait ses joies et ses larmes, était un chat persan, gris, gras et docile, aux beaux yeux mêlés de métal et d’agate qui aimait les caresses et les tendres câlins. Il l’avait affublé d’un nom ridicule pour mieux le dominer : Pastigris, à mi-chemin entre Pastis et Petit Gris. Mais peut-on vraiment dominer la liberté ?

Son cœur inassouvi cherchait quelque chose ou quelqu’un. De mélancolie en dépits, il a passé une jeunesse qui se traînait en tristesse dans laquelle il s’est complu.

Ses goûts, petit à petit, changeaient et, de la forêt profonde, ils se tournaient vers l’océan immense, seul capable de répondre à ses attentes absolues. Seul l’univers liquide pouvait comprendre ce que lui, petit homme de rien, voulait atteindre : l’inaccessible étoile, ornement de ses nuits.

Il vivait à Paris dans des quartiers vivants mais cette vie parisienne n’avait rien à voir avec celle d’Offenbach mais plutôt avec celle des poètes qui l’entouraient de leurs bras romantiques.

Parfois, la nuit, errant sans but à la recherche d’un certain temps perdu, il rêvait en regardant la Lune et la solennité de la nuit, comme un fleuve sur Paris dormant, ruisselait.

Il voulait s’évader vers une île déserte. Il voulait voyager sans vapeur et sans voile. Il voulait retrouver cette île qui, comme Avalon, ne pouvait être atteinte en se déplaçant. Une île qui se trouve au fond de soi-même. Il cherchait les portes vers l’aventure mais de cette aventure intérieure des voyages immobiles qui font des rêveurs, les plus audacieux des voyageurs.

Cette souffrance qui lui était infligée, qu’il s’infligeait, faisait retourner sur lui-même tous les maux de la terre. Il était la plaie et le couteau. Son âme était lacérée par ces douleurs vives que la vie lui apportait.

Après certaines nuits de solitude ivresse, le matin se levait tendre et apaisant. L’aurore grelottante en robe rose et verte s’avançait lentement sur la Seine déserte. Une nouvelle journée pouvait alors commencer.

Bien des années passèrent. L’été de sa vie se complaisait en rythmes convenus et tranquilles. Il découvrait des choses et son esprit était en éveil permanent à chercher la Vérité. Tout n’était que réflexion et analyse. Peu à peu, une certaine sérénité emplissait son esprit mais pas son cœur. Là, tout n’était qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté.

Mais le temps passait toujours trop vite et il voulait l’arrêter. Souviens-toi que le temps est un joueur avide qui gagne sans tricher, à tout coup. Ses forces n’y suffisaient pas pour empêcher le temps de couler. Son habileté ne suffisait pas pour tricher avec ce joueur. Le temps était trop fort pour lui, il devait trouver de l’aide.

Qui voudra l’accompagner sur ce chemin difficile pour arrêter le temps ? Qui pourra l’aider dans cette quête sublime ? Le prince des ténèbres ? Pourquoi pas ? Il essaya ! Et tel un Faust de pacotille, il pactisa avec lui !

Mais rien n’y faisait et il restait toujours en quête de quelque paradis inaccessible : ange ou démon ? Il ne savait pas ! Comme vous êtes loin paradis parfumés ! L’absolu, encore et toujours, l’absolu ! « Quand viendras-tu à moi, toi qui m’es caché, pour fuir sans repos ni trêve vers le pays de mes rêves ? » se lamentait-il parfois.

Il voulait partager tant de choses avec Elle, inconnue et espérée. Mais, Elle restait complètement absente. Et il lui prenait de penser à ces voyages somptueux qu’ils pourraient faire dans leurs rêves.

Et lors de ses nuits les plus folles, il rêvait aux plaisirs érotiques d’une vestale lascive et offerte, passant de corps en corps pour assouvir ses fantasmes les plus audacieux.

Il espérait et tremblait d’espérer. Il voulait atteindre ce but et sa crainte était forte de l’atteindre. Indécis ! Incrédule ! Il passait à la fois par tous les stades de l’émotion. Son âme était à vif et son esprit tremblait.

Le printemps était à son mi-temps quand, enfin, elle lui donna son parfum.

Puis le firmament s’est ouvert ou l’enfer peut être. Qu’elle vienne du ciel ou des ténèbres, qu’importe, elle était là ! Elle ouvrait des chemins qu’il n’osait plus espérer. Des voies nouvelles qu’il allait explorer. Tout lui semblait possible : aller au bout de l’espérance sans pour autant croire au lendemain.

Il vivait en rêve. Elle peuplait ses fantasmes. Elle était son fantasme vivant : son incroyable fantasme fait de chair et de sensibilité, de fantaisie et de volupté. « Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore. Qui es-tu ? Que veux-tu ? Le sais-tu toi-même et ne suis-je qu’une partie de la réponse que tu tardes à trouver ? »

Les réponses qu’il lui apportait n’étaient-elles que de plaisirs charnels ? Le jeu, encore le jeu ! Mais qui gagnera le prix de ce jeu aventureux dont ils découvraient les règles au fur et à mesure de son déroulement : le plaisir avant tout !

Après ces nuits d’ivresse, il se sentait exsangue. Il lui semblait parfois que son sang coulait à flots. Son âme était vacante pour mieux recevoir les présents de son cœur. La blessure était profonde mais inaccessible car invisible sur le corps. L’âme était atteinte au plus profond de son être. Haletant, palpitant, ce cœur s’emballait pour se vider plus vite d’une vie inutile.

Dès cet instant, il sut que la fin commençait. Le moment de l’attente terrible avait débuté. Quand son cœur se déchirerait-il ? Combien ce temps durera-t-il ? Et la tristesse en lui montait comme la mer. Il fallait absolument vivre l’instant présent pour retrouver l’éternité qui est en nous. Mais la tristesse…

Bien sûr, elle riait de sa maladresse adolescente et elle savait poser sur lui un regard apaisant qui le transportait vers des cieux inconnus. Son rire, même pas, son sourire, encore moins, son esquisse de sourire, donnait à son visage cette lumière sublime des matins de Toscane : « Ta tête, ton geste, ton air, sont beaux comme un beau paysage. »

Puis, encore et encore, le temps passa et un matin sans soleil, d’une journée sans joie, d’une semaine idiote qui commençait une année inutile, la foudre tomba sur la terre de son espoir ; l’attente était terminée !

La fin de l’histoire est proche et il aura toujours quelques regrets, hélas ! et pas assez de remords ! Il aurait aimé faire fleurir ce corps et cette âme, il aurait aimé la sublimer. Atteindre la fameuse « Inaccessible Etoile » de Cervantès ou le « Paradis » de Dante, mais il devra attendre … ou rêver. Ne t’en va pas Dulcinée, reste un peu Béatrice !

* * *

Maintenant il est arrivé à la fin de sa vie et, finalement, elle fut belle. Non pas parce que tout a toujours été rose et bleu, mais surtout parce qu’il a appris, avec le temps, à apprécier ce qu’il traversait. Il ne passait plus sans voir mais avançait avec cette gourmandise des yeux et du cœur qui lui permet aujourd’hui d’Aimer et de Vivre (bien que finalement cela soit la même chose !). Il est, en ces temps d’espoir, plus émerveillé que s’il venait de naître, plus jeune que s’il avait vingt ans, plus entreprenant que si la vie l’avait épargné, car finalement la vie est belle quand on la veut belle …

Alors fort de sa découverte il décida de quitter sans regret cette vie pour aborder d’autres rivages encore inaccessibles.

Adieu Philémond, nous t’avons aimé et nous t’aimerons toujours.

"J’ai plus de souvenir que si j’avais mille ans."


PS Je ne remercierai jamais assez Charles Baudelaire de m’avoir prêté, malgré lui, quelques vers de ses Fleurs du Mal.

Le texte de ce conte est déposé

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